Déprime
On m’a toujours dit que les déprimes, quand on est adolescent, ce n’est rien, ça passe tout seul avec le temps. Dès que j’essaye d’en parler avec quelqu’un, on me répond inévitablement la même chose.
"Ce n’est qu’une phase."
Elle dure depuis déjà bien longtemps ; je veux seulement qu’elle s’arrête. Me dire que c’est passager n’y changera rien, je ne sais pas comment en sortir.
"Tout le monde est triste parfois."
Je ne suis pas triste parfois. Je ne suis pas triste. Je suis vide et je ne ressens rien, j’ai envie de me faire mal et de me cacher des yeux du monde.
"D’autres ont une vie bien plus difficile que toi."
J’en ai conscience, j’en suis désolée.
"Tu es égoïste pour penser de cette façon."
Je sais.
Je me rappelle encore des disputes de mes parents à ce sujet - ne faites jamais confiance aux institutions qui vous promette le secret médical, elles mentent, elles mentent et ça vous explosera en pleine figure - les cris, les pleurs, "pourquoi tu peux pas être normale", "c’est de ta faute" et autres "non c’est la tienne" ; je me souviens de mon père, me traitant d’idiote, d’ingrate, de petite conne. "J’espère que tu es contente. Merci beaucoup" avant de claquer la porte et de partir faire en tour pour se calmer.
Je n’ai pas beaucoup d’obligations en tant que fille, garder mes parents heureux est l’une d’elle. Et j’ai échoué. J’ai échoué parce que j’ai été trop faible, parce que je suis allée me plaindre de ma pauvre petite vie d’enfant ingrate et insignifiante.
Je me rappelle aussi de cette amie - l’est-elle seulement encore - si gentille et si jolie, le genre de fille que les garçons adorent, tout mon contraire en somme. On était proches, alors j’ai cru que je pouvais me confier à elle.
Grosse erreur.
C’est quelque chose que j’ai appris à mes dépends : si vous aimez quelqu’un, ne le laissez jamais voir que vous souffrez. La souffrance fait fuir les autres. "Ris et le monde rira avec toi, pleure et tu pleureras seul."
Alors, j’ai appris à me la fermer, à ne plus rien dire. Mes états d’âme n’intéressent pas grand monde et pourtant Dieu sait que j’ai envie de les partager - pourquoi serais-je ici sinon ?
Je dis que je vais bien. Je souris. Je ferme ma gueule. Et tout va bien. Mes parents ne se disputent plus, du moins plus à cause de moi, et je peux tenter d’avoir des relations normales avec les gens qui m’entourent. Tout va bien.
Pourtant, la phase n’est jamais passée. Cela fait trois ans, peut-être même plus, mais la phase n’est pas terminée. Je me sens seule, je me sens vide - de rares fois, je me sens triste et je me sens en colère, je me sens honteuse et je me déteste. Je n’ai rien à apporter dans ce monde. Je ne suis qu’un boulet, je ne mérite ni amour ni amitié, je suis égoïste.
C’est drôle, comme on pourrait penser qu’être dans un pays sain, avec une vie parfaite, le bonheur soit inévitable.
C’est drôle de penser que quelqu’un comme moi, qui a une vie pour laquelle d’autres tueraient, soit éternellement insatisfaite.
Mais bon.
"Ça passera."